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Enfants de septembre

jeudi 24 avril 2014, par Silvestre Baudrillart

à Jules Supervielle.

  • Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
  • Déserts, gonflés de pluie et silencieux ;
  • Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
  • Les Enfants Sauvages, fuyant vers d’autres cieux,
  • Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l’espace
  • J’avais senti siffler leurs ailes dans la nuit,
  • Lorsqu’ils avaient baissé pour chercher les ravines
  • Où tout le jour, peut-être, ils resteront enfouis ;
  • Et cet appel inconsolé de sauvagine
  • Triste, sur les marais que les oiseaux ont fuis.
  • Après avoir surpris le dégel de ma chambre,
  • A l’aube, je gagnai la lisière des bois ;
  • Par une bonne lune de brouillard et d’ambre
  • Je relevai la trace, incertaine parfois,
  • Sur le bord du layon, d’un enfant de Septembre.
  • Les pas étaient légers et tendres, mais brouillés,
  • Ils se croisaient d’abord au milieu des ornières
  • Où dans l’ombre, tranquille, il avait essayé
  • De boire, pour reprendre ses jeux solitaires
  • Très tard, après le long crépuscule mouillé.
  • Et puis, ils se perdaient plus loin parmi les hêtres
  • Où son pied ne marquait qu’à peine sur le sol ;
  • Je me suis dit : il va s’en retourner peut-être
  • A l’aube, pour chercher ses compagnons de vol,
  • En tremblant de la peur qu’ils aient pu disparaître.
  • Il va certainement venir dans ces parages
  • A la demi-clarté qui monte à l’orient,
  • Avec les grandes bandes d’oiseaux de passage,
  • Et les cerfs inquiets qui cherchent dans le vent
  • L’heure d’abandonner le calme des gagnages.
  • Le jour glacial s’était levé sur les marais ;
  • Je restais accroupi dans l’attente illusoire,
  • Regardant défiler la faune qui rentrait
  • Dans l’ombre, les chevreuils peureux qui venaient boire
  • Et les corbeaux criards, aux cimes des forêts.
  • Et je me dis : je suis un enfant de Septembre,
  • Moi-même, par le coeur, la fièvre et l’esprit,
  • Et la brûlante volupté de tous mes membres,
  • Et le désir que j’ai de courir dans la nuit
  • Sauvage, ayant quitté l’étouffement des chambres.
  • Il va certainement me traiter comme un frère,
  • Peut-être me donner un nom parmi les siens ;
  • Mes yeux le combleraient d’amicales lumières
  • S’il ne prenait pas peur, en me voyant soudain
  • Les bras ouverts, courir vers lui dans la clairière.
  • Farouche, il s’enfuira comme un oiseau blessé,
  • Je le suivrai jusqu’à ce qu’il demande grâce,
  • Jusqu’à ce qu’il s’arrête en plein ciel, épuisé,
  • Traqué jusqu’à la mort, vaincu, les ailes basses,
  • Et les yeux résignés à mourir, abaissés.
  • Alors, je le prendrai dans mes bras, endormi,
  • Je le caresserai sur la pente des ailes,
  • Et je ramènerai son petit corps, parmi
  • Les roseaux, rêvant à des choses irréelles,
  • Réchauffé tout le temps par mon sourire ami...
  • Mais les bois étaient recouverts de brumes basses
  • Et le vent commençait à remonter au Nord,
  • Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses,
  • Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
  • Qui vont par d’autres voies en de mêmes espaces !
  • Et je me suis dit : Ce n’est pas dans ces pauvres landes
  • Que les enfants de Septembre vont s’arrêter ;
  • Un seul qui se serait écarté de sa bande
  • Aurait-il, en un soir, compris l’atrocité
  • De ces marais déserts et privés de légende ?

Patrice de La Tour du Pin (1911-1975)