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Amphise

jeudi 24 avril 2014, par Silvestre Baudrillart

  • Je sortais de moi lentement,
  • Je fus pris dans un beau vent souple
  • Chaud comme un naseau de jument
  • Et velouté comme sa croupe.
  • Et tous les regards forestiers,
  • Perles de givre dans les branches
  • Ou tapis comme les pervenches
  • Me regardaient qui m’éloignais.
  • Ils m’en voulaient de cette fuite,
  • Car j’abandonnais ma forêt
  • Intime et sourcilleuse et triste
  • Pour un beau vent bien moins secret.
  • Ils me reprochaient mon envol,
  • Leurs yeux me perçaient durement,
  • Mais le vent baissa jusqu’au sol
  • Et moi j’ai enfourché le vent...
  • Celui qui passe les limites
  • Des âmes d’hommes interdites
  • Jusque là par manque d’amour,
  • Celui qui se gorge d’espace
  • Et celui du lit de la Grâce
  • Dans sa croisière au plus long cours.
  • Mais comme il emportait au corps
  • Les relents de toute contrées,
  • D’un coup je tirai sur son mors
  • Et retournai vers ma forêt,
  • Galopai sa plus longue laie
  • Fis un grand courant d’air doré
  • Où me suivaient biches et cerfs,
  • Tendis les branches violemment,
  • Entraînai tout dans mon élan,
  • Ma forêt qui devenait blonde
  • Comme le soleil l’animait ;
  • Et j’ai chevauché sur le monde
  • Porteur de tout ce que j’aimais...

Patrice de La Tour du Pin (1911-1975)