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Le Loup et l’Agneau

jeudi 30 avril 2015, par Silvestre Baudrillart

  • La raison du plus fort est toujours la meilleure :
  • Nous l’allons montrer tout à l’heure.
  • Un Agneau se désaltérait
  • Dans le courant d’une onde pure.
  • Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
  • Et que la faim en ces lieux attirait.
  • Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
  • Dit cet animal plein de rage :
  • Tu seras châtié de ta témérité.
  • - Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
  • Ne se mette pas en colère ;
  • Mais plutôt qu’elle considère
  • Que je me vas désaltérant
  • Dans le courant,
  • Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
  • Et que par conséquent, en aucune façon,
  • Je ne puis troubler sa boisson.
  • - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
  • Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
  • - Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
  • Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
  • - Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
  • - Je n’en ai point. - C’est donc quelqu’un des tiens :
  • Car vous ne m’épargnez guère,
  • Vous, vos bergers, et vos chiens.
  • On me l’a dit : il faut que je me venge.
  • Là-dessus, au fond des forêts
  • Le Loup l’emporte, et puis le mange,
  • Sans autre forme de procès.

Jean de LA FONTAINE (1621-1695) Fables, I, 10