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-  Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
-  Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
-  J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
-  Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture
-  Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
-  Repose le salut de la société,
-  S’indignèrent, et Jeanne a dit d’une voix douce :
-  - Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
-  Je ne me ferai plus griffer par le minet.
-  Mais on s’est récrié : - Cette enfant vous connaît ;
-  Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
-  Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
-  Pas de gouvernement possible. À chaque instant
-  L’ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
-  Plus de règle. L’enfant n’a plus rien qui l’arrête.
-  Vous démolissez tout. - Et j’ai baissé la tête,
-  Et j’ai dit : - Je n’ai rien à répondre à cela,
-  J’ai tort. Oui, c’est avec ces indulgences-là
-  Qu’on a toujours conduit les peuples à leur perte.
-  Qu’on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe,
-  On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,
-  M’a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
-  Pleins de l’autorité des douces créatures :
-  - Eh bien, moi, je t’irai porter des confitures.
VICTOR HUGO (1802-1885)