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Ballade des Pendus ou Epitaphe Villon

samedi 22 décembre 2012, par Silvestre Baudrillart

  • Frères humains qui après nous vivez,
  • N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
  • Car, si pitié de nous pauvres avez,
  • Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
  • Vous nous voyez ci attachés cinq, six :
  • Quant à la chair, que trop avons nourrie,
  • Elle est piéça dévorée et pourrie,
  • Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
  • De notre mal personne ne s’en rie ;
  • Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
  • Si frères vous clamons, pas n’en devez
  • Avoir dédain, quoique fûmes occis
  • Par justice. Toutefois vous savez
  • Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis ;
  • Excusez-nous, puisque sommes transis,
  • Envers le fils de la Vierge Marie,
  • Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
  • Nous préservant de l’infernale foudre.
  • Nous sommes morts, âme ne nous harie,
  • Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
  • La pluie nous a débués et lavés,
  • Et le soleil desséchés et noircis ;
  • Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés,
  • Et arraché la barbe et les sourcils.
  • Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
  • Puis çà, puis là, comme le vent varie,
  • À son plaisir sans cesser nous charrie,
  • Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
  • Ne soyez donc de notre confrérie ;
  • Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
  • Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
  • Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
  • À lui n’ayons que faire ni que soudre.
  • Hommes, ici n’a point de moquerie ;
  • Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !