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L’azur

mardi 22 juillet 2014, par Silvestre Baudrillart

  • De l’éternel Azur la sereine ironie
  • Accable, belle indolemment comme les fleurs,
  • Le poëte impuissant qui maudit son génie
  • A travers un désert stérile de Douleurs.
  • Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
  • Avec l’intensité d’un remords atterrant,
  • Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde
  • Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?
  • Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
  • Avec de longs haillons de brume dans les cieux
  • Que noiera le marais livide des automnes,
  • Et bâtissez un grand plafond silencieux !
  • Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
  • En t’en venant la vase et les pâles roseaux,
  • Cher Ennui, pour boucher d’une main jamais lasse
  • Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.
  • Encor ! que sans répit les tristes cheminées
  • Fument, et que de suie une errante prison
  • Eteigne dans l’horreur de ses noires traînées
  • Le soleil se mourant jaunâtre à l’horizon !
  • - Le Ciel est mort. - Vers toi, j’accours ! Donne, ô matière,
  • L’oubli de l’Idéal cruel et du Péché
  • A ce martyr qui vient partager la litière
  • Où le bétail heureux des hommes est couché,
  • Car j’y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
  • Comme le pot de fard gisant au pied d’un mur,
  • N’a plus l’art d’attifer la sanglotante idée,
  • Lugubrement bâiller vers un trépas obscur...
  • En vain ! l’Azur triomphe, et je l’entends qui chante
  • Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
  • Nous faire peur avec sa victoire méchante,
  • Et du métal vivant sort en bleus angelus !
  • Il roule par la brume, ancien et traverse
  • Ta native agonie ainsi qu’un glaive sûr ;
  • Où fuir dans la révolte inutile et perverse ?
  • Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur !

MALLARME Stéphane (1842-1898)