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La Jeune Captive

samedi 22 décembre 2012, par Silvestre Baudrillart

  • L’épi naissant mûrit de la faux respecté ;
  • Sans crainte du pressoir, le pampre, tout l’été
  • Boit les doux présents de l’aurore ;
  • Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
  • Quoi que l’heure présente ait de trouble et d’ennui,
  • Je ne veux pas mourir encore.
  • Qu’un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort :
  • Moi je pleure et j’espère. Au noir souffle du nord
  • Je plie et relève ma tête.
  • S’il est des jours amers, il en est de si doux !
  • Hélas ! quel miel jamais n’a laissé de dégoûts ?
  • Quelle mer n’a point de tempête ?
  • L’illusion féconde habite dans mon sein.
  • D’une prison sur moi les murs pèsent en vain,
  • J’ai les ailes de l’espérance :
  • Échappée aux réseaux de l’oiseleur cruel,
  • Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
  • Philomèle, chante et s’élance.
  • Est-ce à moi de mourir ? Tranquille je m’endors,
  • Et tranquille je veille, et ma veille aux remords
  • Ni mon sommeil ne sont en proie.
  • Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ;
  • Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux
  • Ranime presque de la joie.
  • Mon beau voyage encore est si loin de sa fin !
  • Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
  • J’ai passé les premiers à peine.
  • Au banquet de la vie à peine commencé,
  • Un instant seulement mes lèvres ont pressé
  • La coupe en mes mains encor pleine.
  • Je ne suis qu’au printemps, je veux voir la moisson ;
  • Et comme le soleil, de-saison en saison,
  • Je veux achever mon année.
  • Brillante sur ma tige et l’honneur du jardin,
  • Je n’ai vu luire encor que les feux du matin ;
  • Je veux achever ma journée.
  • O Mort ! Tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ;
  • Va consoler les cœurs que la honte, l’effroi,
  • Le pâle désespoir dévore.
  • Pour moi Palès encore a des asiles verts,
  • Les Amours des baisers, les Muses des concerts ;
  • Je ne veux pas mourir encore.
  • Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
  • S’éveillait, écoutait ces plaintes, cette voix,
  • Ces vœux d’une jeune captive ;
  • Et secouant le faix de mes jours languissants,
  • Aux douces lois des vers je pliai les accents
  • De sa bouche aimable et naïve.
  • Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
  • Feront à quelque amant des loisirs studieux
  • Chercher quelle fut cette belle.
  • La grâce décorait son front et ses discours,
  • Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
  • Ceux qui les passeront près d’elle.