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Stella

dimanche 18 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Je m’étais endormi la nuit près de la grève.
  • Un vent frais m’éveilla, je sortis de mon rêve,
  • J’ouvris les yeux, je vis l’étoile du matin.
  • Elle resplendissait au fond du ciel lointain
  • Dans une blancheur molle, infinie et charmante.
  • Aquilon s’enfuyait emportant la tourmente.
  • L’astre éclatant changeait la nuée en duvet.
  • C’était une clarté qui pensait, qui vivait ;
  • Elle apaisait l’écueil où la vague déferle ;
  • On croyait voir une âme à travers une perle.
  • Il faisait nuit encor, l’ombre régnait en vain,
  • Le ciel s’illuminait d’un sourire divin.
  • La lueur argentait le haut du mât qui penche ;
  • Le navire était noir, mais la voile était blanche ;
  • Des goëlands debout sur un escarpement,
  • Attentifs, contemplaient l’étoile gravement
  • Comme un oiseau céleste et fait d’une étincelle ;
  • L’océan, qui ressemble au peuple, allait vers elle,
  • Et, rugissant tout bas, la regardait briller,
  • Et semblait avoir peur de la faire envoler.
  • Un ineffable amour emplissait l’étendue.
  • L’herbe verte à mes pieds frissonnait éperdue,
  • Les oiseaux se parlaient dans les nids ; une fleur
  • Qui s’éveillait me dit : c’est l’étoile ma soeur.
  • Et pendant qu’à longs plis l’ombre levait son voile,
  • J’entendis une voix qui venait de l’étoile
  • Et qui disait : - Je suis l’astre qui vient d’abord.
  • Je suis celle qu’on croit dans la tombe et qui sort.
  • J’ai lui sur le Sina, j’ai lui sur le Taygète ;
  • Je suis le caillou d’or et de feu que Dieu jette,
  • Comme avec une fronde, au front noir de la nuit.
  • Je suis ce qui renaît quand un monde est détruit.
  • Ô nations ! je suis la poésie ardente.
  • J’ai brillé sur Moïse et j’ai brillé sur Dante.
  • Le lion océan est amoureux de moi.
  • J’arrive. Levez-vous, vertu, courage, foi !
  • Penseurs, esprits, montez sur la tour, sentinelles !
  • Paupières, ouvrez-vous, allumez-vous, prunelles,
  • Terre, émeus le sillon, vie, éveille le bruit,
  • Debout, vous qui dormez ! - car celui qui me suit,
  • Car celui qui m’envoie en avant la première,
  • C’est l’ange Liberté, c’est le géant Lumière !

VICTOR HUGO (1802-1885)