- Arrière de moi vains mensonges,
- Veillants et agréables songes,
- Laissez-moi, que je dorme en paix :
- Car bien que vous soyez frivoles,
- C’est de vous qu’on vient aux paroles,
- Et des paroles aux effets.
- Voyez au jardin les pensées
- De trois violets nuancées,
- Du fond rayonne un beau soleil :
- Voilà bien des miennes l’image,
- Sans odeur, sans fruit, sans usage,
- Et ne plaisent qu’un jour à l’oeil ;
- Ce n’est qu’Amour en l’apparence,
- Ce n’est qu’une verte espérance,
- Que rayons et vives clartés :
- Mais cette espérance est trop vaine,
- Ce plaisir ne produit que peine,
- Et ses rayons obscurités.
- Mes désirs s’envolent sans cesse
- De la fureur à la finesse,
- Le milieu est des coeurs bénins :
- On peint la Chimère de même,
- On lui donne à ses deux extrêmes
- Ou les lions, ou les venins.
- Ce qui se digère par l’homme
- Se fait puant ; voyez-vous comme
- C’est un dangereux animal,
- Changeant le bien en son contraire :
- Car ce qui est vain à bien faire,
- Ne l’est pas à faire du mal.
Théodore AGRIPPA D’AUBIGNÉ (1552-1630)