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L’éducation non-mixte, une option pour l’excellence - par Christina Hoff Sommers

mardi 25 octobre 2011, par Silvestre Baudrillart

L’ÉDUCATION NON-MIXTE, UNE OPTION POUR L’EXCELLENCE

par Christina HOFF SOMMERS

Je m’efforcerai de donner les informations les meilleures et les plus récentes sur la façon dont les garçons et les filles s’éloignent des écoles, que ce soit en Amérique ou en Europe. Je donnerai quelques indices sur la manière de rendre nos écoles plus accueillantes pour les hommes et les femmes. Je parlerai des bienfaits de l’éducation homogène.

En 2004, le Secrétariat du Département Fédéral de l’Éducation aux États-Unis a annoncé un changement de règlement qui devait ouvrir plus largement à l’école publique américaine la possibilité de programmes différenciés par sexe. L’éducation mixte a toujours été la norme aux États-Unis, c’est pourquoi ces nouvelles directives représentent un changement notable. Pourquoi cette décision ? Est-ce parce qu’elle a reçu un grand soutien de la part des parents, enseignants, élèves et politiciens (comme Bush et Hillary Clinton) ? La réponse est que les élèves semblent grandir mieux dans des classes homogènes.

Les différences homme-femme

Je voudrais commencer en disant quelque chose sur les différences entre homme et femme.

Il y a quelques années, un grand producteur américain de jouets, la compagnie Hasbro Toys, a testé une maison-jouet qu’elle pensait commercialiser indistinctement pour garçons et filles. On a vu rapidement que les uns et les autres ne réagissaient pas de la même manière face à l’objet. Les filles l’utilisaient pour habiller les poupées et faire de la cuisine, tandis que les garçons s’en servaient pour lancer des objets à partir du toit. Un cadre de Hasbro déclara que les garçons et les filles étaient effectivement différents.

Les garçons et les filles sont différents.

Des dizaines d’étude de neurologie, endocrinologie, génétique et psychologie évolutive suggèrent que quelques différences entre hommes et femmes, dans les préférences et les attitudes, sont innées et non créées par la société. Évidemment, la société joue un rôle dans cette différenciation, mais mère Nature en fait autant.

Quelles sont les différences biologiques qui concernent directement l’éducation ?

Il y a des exceptions, mais aussi des règles :

—  les garçons ont plus d’habileté dans le raisonnement spatial, les filles ont de meilleures capacités verbales ;
—  les garçons sont plus aventureux, les filles plus réflexives ;
—  les garçons aiment l’action, la compétition, les objets inanimés et ne perdent guère de temps à parler de leurs sentiments. Les garçons se projettent dans un imaginaire plus agressif. Ils s’insultent et se bousculent mutuellement et réagissent plus facilement quand ils sont attaqués.

Une étude réalisée en 1997 a confronté les récits de parents d’enfants de 12 pays différents. Les parents des États-Unis, de Thaïlande, de Grèce, de Jamaïque, de Porto-Rico et de Suisse, par exemple, ont tous déclaré que les garçons avaient plus que les filles l’habitude de se battre, d’insulter, de voler et de maltraiter les autres. Ces différences apparaissent chez les enfants alors que commence à peine leur vie sociale.

Le jeu caractéristique des petits garçons est défini comme « bruyant et désordonné » : il consiste à courir beaucoup, se battre, sauter, souvent avec l’accompagnement d’effets sonores. Les fillettes aussi s’amusent à des jeux désordonnés, que peut-être elles pratiquent moins souvent ; habituellement, elles utilisent le temps consacré aux jeux à s’échanger des confidences et cherchent leur « meilleure amie ». La mise en scène théâtrale des jeux les amuse beaucoup.

Rappelons que tous les enfants ne respectent pas ces stéréotypes : certaines fillettes aiment les jeux désordonnés, comme les garçonnets, et certains garçons préfèrent les jeux calmes et d’imagination, comme les petites filles. Je me réfère à l’homme typique et à la femme typique.

La salle des cabrioles

Je veux mentionner Vivian Gussen Paley, enseignante en jardin d’enfants à Chicago. En 1984, elle a publié un livre à succès sur les jeux des enfants, intitulé : Garçons et filles : super-héros du coin poupées . Il est difficile d’imaginer un livre écrit de nos jours qui voudrait souligner les grandes différences entre garçons et filles dans le jeu et dans l’apprentissage. Ses observations sont valides, parce qu’elle savait comment enseigner aux garçons sans désavantager les filles. Vivian Paley ne pensait pas qu’elle allait abolir les différences, et ne tentait pas même de le faire. Dans un passage, elle décrit le comportement des garçons et des filles dans la « salle des cabrioles », une salle pleine de structures où grimper, échelles et tapis.

« Les garçons courent et grimpent durant tout le temps qu’ils passent dans la salle, ne s’interrompent que quand ils tombent à terre, « morts » de fatigue. Quand les fillettes sont laissées dans la salle sans les petits garçons, elles courent, grimpent et deviennent beaucoup plus actives, mais après quelques petites minutes, elles s’y intéressent moins et se consacrent à des activités plus tranquilles (dessiner et jouer à la poupée). Les garçons, en revanche, ne faiblissent pas dans leur intérêt et ne quittent la salle que s’ils y sont obligés ; aucun garçon ne quitte la salle de sa propre initiative. »

À l’époque où Vivian Paley écrivait son livre, parmi les garçons du jardin d’enfants, la mode était aux personnages de la Guerre des Étoiles ; mais là aussi, ce que faisaient les fillettes dans le coin poupées avait pour objectif une sorte de domination : « Jouer à la maman ou à la princesse est tout autant une affirmation de soi que, de la part des garçons, jouer au super-héros. »

Le jeu imaginatif des garçons implique beaucoup de conflit et de violence, celui des filles semble être plus gentil et pacifique ; mais, après un examen plus attentif, Vivian Paley a remarqué qu’il y avait conflit et comportement antisocial également dans les amusements des filles. Les filles sont souvent, à leur manière, plus agressives que les garçons, mais c’est plus difficile à voir ; leur agressivité est souvent invisible aux yeux des parents et des enseignants.

Vivian Paley en concluait que les petits garçons et les petites filles ont souvent besoin d’être guidés attentivement pour devenir des adultes consciencieux, mais elle admettait qu’il y avait beaucoup de différences, qui ne devaient pas être déplorées, mais bien plutôt utilisées pour renforcer les spécificités masculines et féminines.

Garçons et filles dans le monde scolaire

Comme je l’ai dit, ces différences dans le comportement et dans les jeux sont biologiquement motivées, mais quelle que soit leur origine, elles ont un grande incidence sur ce qui arrive dans une classe. Par exemple, les femmes sont meilleures que les hommes dans leurs études ; il y a beaucoup plus de jeunes filles parmi les étudiants sérieux, et beaucoup plus de garçons parmi les moins courageux.

Au début des années 1990, les journaux britanniques ont commencé à raconter à leurs lecteurs les insuccès scolaires des garçons. Prenant pour base les jeunes Anglais de 14 ans, le Times a mis en garde contre la perspective qu’il puisse naître « une sous-classe de chômeurs perpétuels. » The Economist se référait aux garçons comme au « sexe faible de demain. »

En avril 2000, le Département Fédéral de l’Éducation aux États-Unis a réalisé une étude sur le rapport entre le sexe et l’éducation ; cette étude est probablement la plus importante réalisée à ce jour. Les résultats sont semblables à ceux que nous voyons dans le reste du monde. Le rapport révèle que les hommes réussissent légèrement mieux en mathématiques et en sciences, tandis que les femmes obtiennent des résultats d’ensemble meilleurs. Suivant cette étude, « il est évident que l’avantage féminin à l’école est réel et persistant. » Voici les données :

—  les filles surclassent les garçons dans la lecture et l’écriture. Les capacités en écriture des garçons de 17 ans sont comparables à celles des filles de 14 ans ;
—  les filles ont des résultats meilleurs à tous les niveaux de l’instruction ;
—  les garçons dépassent les filles dans le sport, les filles dépassent les garçons dans les comités d’étudiants, dans le journal scolaire et dans l’inscription aux matières difficiles ;
—  les filles font plus de devoirs que les garçons, sont plus organisées et visent davantage au rendement scolaire. Certains experts appellent ce phénomène la « variable d’enthousiasme ». Les garçons ne sont pas aussi enthousiastes de l’école ;
—  les filles remportent la plupart des récompenses scolaires.

Je rapporte l’observation d’un pédagogue, observation qui aura certainement l’aval des parents du monde entier : « Les filles veulent plaire aux enseignants en travaillant et en faisant leur devoirs de la manière la plus précise possible. Les garçons exécutent leurs devoirs à toute vitesse et courent jouer, se désintéressant de la réaction de l’enseignant face à un travail négligé. »

Enfin, une dernière donnée : en de nombreux pays (Australie, Angleterre, Canada, Finlande, Allemagne, France, Espagne et Amérique), les filles sont plus nombreuses que les garçons à l’université. Toutes les projections indiquent que, bien que les garçons aient plus d’opportunités, les différences en faveur des femmes continueront à croître. Il s’agit d’une tendance négative, parce que, dans notre système éducatif, l’instruction universitaire est toujours plus nécessaire pour l’ascension sociale des classes moyennes.

Solutions à apporter pour rétablir l’équilibre

Que pouvons-nous faire pour aider les garçons à s’améliorer en continuant, dans le même temps, à respecter les besoins des filles ?

Actuellement, dans la réflexion pédagogique américaine, il y a au moins deux manières d’affronter le problème :
- 1) chercher à changer les hommes pour les rendre plus semblables aux femmes ;
- 2) accepter les différences et trouver des moyens de rendre les cours plus attirants pour les garçons. Je préfère la seconde approche et je crois que les classes homogènes constituent une partie de la réponse.

Faudrait-il féminiser les garçons ?

Avant d’exposer mes raisons, je voudrais dire quelque chose sur les efforts réalisés en Amérique pour rendre les hommes plus semblables aux femmes. Aux États-Unis, nous avons beaucoup d’« experts » qui travaillent au gouvernement et dans les écoles comme « conseillers en éthique du genre ». Beaucoup d’entre eux essaient d’« aider » les garçons à se libérer de leur masculinité. Selon cette optique, si le garçon seul réussit à être plus calme et à pratiquer des jeux qui amusent les filles, cela devrait être positif pour lui et pour les autres.

Des établissements prestigieux, comme Wellesley College dans le Massachussets, ont accueilli des conférences sur la manière de faire jouer les garçons à la poupée. Il y a des enseignants, dans des écoles américaines, qui font cuisiner les garçons, les font tisser et créer des broderies. Cependant, il faut remarquer que les garçons ne collaborent pas ; ils utilisent les brochettes comme des épées ; quand on leur demande de préparer des broderies, ils les ornent avec avec des images d’armes et d’animaux dangereux ; en secret, ils s’ennuient de ces jeux et la réaction à l’utilisation des poupées est si hostile qu’elle rend difficile le maintien de l’ordre. Mère Nature est obstinée : les garçons ne changeront pas dans leurs lignes fondamentales.

Heureusement, il y a des voies pour éduquer les garçons tout en acceptant avec respect leur nature, et c’est pour cela que je préfère la seconde manière d’éduquer : l’expérimentation plus fréquente de classes et d’école homogènes par sexe.

Un enseignement différencié

En 1997, un groupe de directeurs d’école anglais publia l’opuscule Can Boys Do Better ? (Les Garçons peuvent-ils faire mieux ?), qui décrit les activités spécifiques et les styles d’enseignement qui ont été observés expérimentalement. Des chercheurs américains ont développé de nouvelles idées sur les techniques éducatives qui fonctionnent avec les garçons et sur celles qui fonctionnent avec les filles. J’en donnerai quelques-unes. Je suis sûre que n’importe quel enseignant pourrait m’en indiquer d’autres.

Les éducateurs américains et anglais suggèrent les mêmes techniques :

Ce qui est adapté pour les hommes :
—  aménagement du temps scolaire très soigné, soulignant l’ordre et l’organisation ;
—  cours vivant, joyeux et plein de surprises. L’enseignant devrait bouger continuellement, en tenant sous son contrôle tous les élèves. Les garçons ne devraient jamais pouvoir prévoir les mouvements de l’enseignant, s’attendant perpétuellement à être interrogés ;
—  sanctions consistantes quand le travail scolaire n’est pas exécuté ;
—  moins de récits et plus de livres sur les volcans, les roches, les trains...
—  apprentissage par équipes, où tout est une compétition ;
—  beaucoup d’activités au grand air, en insistant beaucoup sur le caractère sportif de l’effort.

On pourrait penser que tout cela vaut aussi pour les femmes. La réponse est non. Il y a des exceptions, certes, mais les nouvelles recherches sur l’éducation de genre suggère que d’autres caractéristiques seraient meilleures pour les élèves filles.

Ce qui est adapté pour les femmes :
—  elles n’ont pas besoin d’un contrôle strict. Elles travaillent très bien en petits groupes avec peu de surveillance. Elles apprennent bien avec des cours calmes, tranquilles et créatifs. Les salles de classe peuvent aussi être confortables, avec petits divans et coussins (les garçons, en revanche, s’endormiraient) ;
—  tenter fortement de les intéresser et de les motiver pour les sports. Ce n’est pas seulement bon pour la santé ; le sport développe aussi un esprit de collaboration utile dans le travail.
—  les encourager en mathématiques et en sciences. Les chercheurs l’ont démontré : les filles ont de meilleurs résultats dans les disciplines dont elles voient les liens avec le monde réel. Beaucoup de filles recherchent des professions dans lesquelles elles peuvent aider les autres. Les professions d’ingénieur ou de chimiste les attireront, si elles voient le lien avec la construction d’édifices sûrs ou la propreté de l’air ;
—  les femmes ont tendance à sous-estimer leurs capacités, même quand elles travaillent bien ; elles ont besoin d’encouragements continuels. Au contraire, les hommes se surestiment, même quand ils travaillent mal : ils ont besoin de contrôles réels.

Ce ne sont que quelques idées. Est-il possible de faire tout cela dans une classe mixte ? Je suis sûre que les bons enseignants cherchent à adapter leurs styles d’enseignement aux besoins de chaque élève, mais il est évident qu’un enseignement homogène, non-mixte, leur facilite la tâche. C’est la raison pour laquelle, aux États-Unis, le Secrétariat Fédéral pour l’Éducation, ainsi que Bush et Hillary Clinton, veulent voir plus d’expérimentation d’écoles non-mixtes.

Exemples concrets : l’Australie, Washington

La recherche sur les avantages de l’éducation homogène est compliquée, contradictoire et parfois difficile à interpréter. Il est certain que filles et garçons réussissent mieux dans l’apprentissage et dans la socialisation quand ils fréquentent une école sexuellement homogène ; mais dans l’identification des causes, les experts ne parviennent pas à un complet accord, parce que de nombreux facteurs sont en jeu simultanément. Souvent, les élèves qui fréquentent ces écoles appartiennent à un milieu social privilégié et, comme chacun sait, le succès scolaire est lié à la situation familiale ; de ce fait, les critiques expliquent le succès de ces écoles par l’aisance des familles plutôt que par leur homogénéité sexuelle. Selon une autre explication, les enseignants de ces écoles seraient plus expérimentés que ceux des établissements mixtes.

D’un autre côté, ces dernières années, spécialement pour résoudre les problèmes scolaires des garçons, diverses études ont été conduites ; elles concordent dans cette conclusion : les élèves ne peuvent tirer que des bienfaits des écoles homogènes. Par exemple, en 2001, le Conseil Australien pour l’éducation a diffusé les résultats d’une étude comparative des résultats de l’enseignement mixte et non-mixte, portant sur une population de plus de 270 000 étudiants. Les élèves des écoles homogènes (masculines ou féminines) obtenaient en moyenne des résultats meilleurs que ceux des écoles mixtes, avec une différence de 15 à 22%. Le Conseil a relevé que « garçons et filles des écoles non-mixtes trouvaient l’apprentissage plus intéressant et obtenaient des résultats plus brillants ». D’autres études démontrent que l’école homogène dissout certains stéréotypes sur les hommes et les femmes, au lieu de les renforcer : dans les écoles non-mixtes, les filles apprécient davantage les cours de mathématiques, de sciences et d’informatique ; les garçons s’intéressent plus aux arts, à la littérature et aux langues étrangères. Ces écoles semblent faire des garçons et des filles des êtres humains à part entière.

J’ai visité une école de garçons à Washington ; le directeur m’a parlé de ce qu’apprenaient ses élèves et de la manière dont ils l’apprenaient. Les 27 enseignants étaient tous des hommes (« Parce que les garçons sont plus dociles envers des enseignants du même sexe ») et les élèves les plus petits (10 ans environ) assistaient aux cours dans des locaux où se trouvaient des collections d’insectes, de plantes et de fleurs. Ils apprenaient des poèmes et assistaient à des cours hebdomadaires de peinture et de dessin.

La compétition fait partie de la vie de tous les jours dans une école. Prix et distinctions sont utilisés comme des encouragements, mais la compétition est toujours liée à l’éthique. Toutes les sociétés sont confrontées au problème de rendre leur enfants plus civils, et tout particulièrement les garçons. L’histoire enseigne que la masculinité liée à la moralité est puissante et constructive, mais elle enseigne aussi que, sans moralité, elle est dangereuse.

Transformer un garçon en un homme doté du sens de l’honneur, voilà qui respecte la nature masculine et ne demande pas de lui apprendre à jouer à la poupée, à tricoter ou à s’asseoir en cercle et parler de ses sentiments. Les efforts pour civiliser les hommes avec des codes d’honneur, de bonnes manières et des règles d’esprit sportif, sont nécessaires et appropriés à leur nature masculine. Il semble plus facile d’éduquer les garçons dans un cadre de référence masculin. L’éducation homogène n’est pas la panacée, mais ce serait une erreur que de ne pas l’essayer.

Pour résumer en quelques phrases : il est temps de comprendre les différences entre hommes et femmes et de faire de nos classes des lieux agréables pour les enfants des deux sexes. Nous avons besoin de plus d’enseignants comme Vivian Paley, ayant le don de renforcer les caractéristiques respectives de chaque sexe, et nous avons besoin de plus d’écoles non-mixtes.

Un des plus grands problèmes éducatifs du XXIe siècle est le faible rendement des hommes, mais nous ne voulons rien faire qui puisse nuire au progrès des femmes. L’éducation homogène pourrait être une réponse importante.

Christina Hoff Sommers

(trad. de l’italien ; revue FOGLI, n° 340-341, jan-fév 2006, ARES, Milan)

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