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Sur l’évangile In principio erat Verbum

mardi 27 octobre 2015, par Silvestre Baudrillart

  • 1 Dans le principe demeurait
  • le Verbe, et en Dieu il vivait,
  • en qui sa félicité
  • infinie il possédait.
  • Le Verbe lui-même était Dieu,
  • puisque le principe il se disait.
  • Il demeurait dans le principe,
  • et n’avait pas de principe.
  • Il était le principe même ;
  • pour cela il n’en avait pas.
  • Le Verbe se nomme Fils,
  • puisqu’il naissait du principe.
  • Il l’a toujours conçu
  • et toujours il le concevait.
  • Il lui donne toujours sa substance
  • et toujours il se la gardait.
  • Et ainsi, la gloire du Fils
  • est celle qu’en le Père il avait ;
  • et toute sa gloire le Père
  • dans le Fils possédait.
  • Comme l’aimé en l’amoureux
  • l’un en l’autre résidait,
  • et cet amour qui les unit
  • convenait en lui-même
  • à l’un et à l’autre
  • en égalité et en valeur.
  • Trois personnes et un aimé
  • entre tous trois il y avait ;
  • et un seul amour en elles toutes
  • et un seul amoureux les faisait, (30)
  • et l’amoureux est l’aimé
  • en qui chacun vivait ;
  • car l’être que les trois possèdent
  • chacun le possédait,
  • et chacun d’eux aime (35)
  • celle qui possédait cet être.
  • Cet être est chacune
  • et lui seul les unissait
  • en un ineffable noeud
  • qui ne saurait se dire. (40)
  • Pour cela était infini
  • l’amour qui les unissait,
  • car un seul amour ont les trois,
  • que l’on disait leur essence ;
  • car l’amour, plus il est un, (45)
  • plus amour il se fait.
  • En cet amour immense
  • qui des deux procédait,
  • des paroles de grande douceur
  • le Père au Fils disait,
  • de si profond délice,
  • que nul ne les entendait ;
  • seul le Fils en jouissait,
  • car cela le concernait.
  • Mais ce qu’on en peut entendre
  • de cette manière il le disait :
  • - Rien ne me contente, Fils,
  • hors de ta compagnie.
  • Et si quelque chose me contente,
  • c’est en toi que je l’aimerais.
  • Celui qui à toi ressemble le plus
  • à moi le plus me satisferait ;
  • et celui qui ne te ressemble en rien
  • en moi rien ne trouverait.
  • En toi seul je me suis complu,
  • ô vie de ma vie !
  • Tu es lumière de ma lumière.
  • Tu es ma sagesse ;
  • figure de ma substance
  • en qui je me complais bien.
  • À celui qui t’aimerait, Fils,
  • moi-même à lui je me donnerais,
  • et l’amour que moi j’ai en toi
  • celui-là même en lui je mettrais,
  • pour la raison qu’il a aimé
  • qui j’aimais tant moi-même.