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Spleen

jeudi 30 avril 2015, par Silvestre Baudrillart

  • Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
  • Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
  • Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
  • II nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
  • Quand la terre est changée en un cachot humide,
  • Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
  • S’en va battant les murs de son aile timide
  • Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
  • Quand la pluie étalant ses immenses traînées
  • D’une vaste prison imite les barreaux,
  • Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
  • Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
  • Des cloches tout à coup sautent avec furie
  • Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
  • Ainsi que des esprits errants et sans patrie
  • Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
  • — Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
  • Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
  • Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
  • Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Spleen, LXXVIII