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Ô souvenirs ! printemps ! aurore !

dimanche 18 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Ô souvenirs ! printemps ! aurore !
  • Doux rayon triste et réchauffant !
  • - Lorsqu’elle était petite encore,
  • Que sa soeur était tout enfant... -
  • Connaissez-vous, sur la colline
  • Qui joint Montlignon à Saint-Leu,
  • Une terrasse qui s’incline
  • Entre un bois sombre et le ciel bleu ?
  • C’est là que nous vivions, - Pénètre,
  • Mon coeur, dans ce passé charmant !
  • Je l’entendais sous ma fenêtre
  • Jouer le matin doucement.
  • Elle courait dans la rosée,
  • Sans bruit, de peur de m’éveiller ;
  • Moi, je n’ouvrais pas ma croisée,
  • De peur de la faire envoler.
  • Ses frères riaient... - Aube pure !
  • Tout chantait sous ces frais berceaux,
  • Ma famille avec la nature,
  • Mes enfants avec les oiseaux ! -
  • Je toussais, on devenait brave.
  • Elle montait à petits pas,
  • Et me disait d’un air très grave :
  • " J’ai laissé les enfants en bas. "
  • Qu’elle fût bien ou mal coiffée,
  • Que mon coeur fût triste ou joyeux,
  • Je l’admirais. C’était ma fée,
  • Et le doux astre de mes yeux !
  • Nous jouions toute la journée.
  • Ô jeux charmants ! chers entretiens !
  • Le soir, comme elle était l’aînée,
  • Elle me disait : " Père, viens !
  • Nous allons t’apporter ta chaise,
  • Conte-nous une histoire, dis ! " -
  • Et je voyais rayonner d’aise
  • Tous ces regards du paradis.
  • Alors, prodiguant les carnages,
  • J’inventais un conte profond
  • Dont je trouvais les personnages
  • Parmi les ombres du plafond.
  • Toujours, ces quatre douces têtes
  • Riaient, comme à cet âge on rit,
  • De voir d’affreux géants très-bêtes
  • Vaincus par des nains pleins d’esprit.
  • J’étais l’Arioste et l’Homère
  • D’un poème éclos d’un seul jet ;
  • Pendant que je parlais, leur mère
  • Les regardait rire, et songeait.
  • Leur aïeul, qui lisait dans l’ombre,
  • Sur eux parfois levait les yeux,
  • Et moi, par la fenêtre sombre
  • J’entrevoyais un coin des cieux !
  • Victor HUGO (1802-1885)