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Les Arbres

jeudi 24 avril 2014, par Silvestre Baudrillart

  • Les grands chênes, pareils à de sombres amants,
  • Tordent dans l’air leurs bras où pend leur chevelure,
  • Et, debout sous le vent, ont la sinistre allure
  • Des mornes désespoirs et des accablements.
  • Comme un prince très vieux dont la tête vacille
  • Sous le poids des longs jours, le bouleau maigre et blanc,
  • Haut et d’argent vêtu, se dresse somnolent
  • Dans une majesté vaguement imbécile.
  • Les peupliers ardus ont l’air d’âpres chercheurs
  • Que sèche la pensée et qu’alanguit le rêve,
  • Qui, vers l’azur tendus, y poursuivent sans trêve
  • Des nuages volants les mortelles fraîcheurs.
  • Près des sources où dort l’âme errante des fleuves
  • Qu’ont bus les sables d’or et les soleils jaloux,
  • Pleure, au front incliné des saules à genoux,
  • L’immortelle douleur des mères et des veuves.
  • — C’est qu’ils portent en eux, les arbres fraternels,
  • Tous les débris épars de l’humanité morte
  • Qui flotte dans leur sève et, de la terre, apporte
  • A leurs vivants rameaux ses aspects éternels.
  • Et, tandis qu’affranchis par les métamorphoses,
  • Les corps brisent enfin leur moule passager,
  • L’Esprit demeure et semble à jamais se figer
  • Dans l’immobilité symbolique des choses.

SILVESTRE Armand (1837-1901)