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Jeanne était au pain sec...

dimanche 18 décembre 2011, par Silvestre Baudrillart

  • Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
  • Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
  • J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
  • Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture
  • Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
  • Repose le salut de la société,
  • S’indignèrent, et Jeanne a dit d’une voix douce :
  • - Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
  • Je ne me ferai plus griffer par le minet.
  • Mais on s’est récrié : - Cette enfant vous connaît ;
  • Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
  • Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
  • Pas de gouvernement possible. À chaque instant
  • L’ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
  • Plus de règle. L’enfant n’a plus rien qui l’arrête.
  • Vous démolissez tout. - Et j’ai baissé la tête,
  • Et j’ai dit : - Je n’ai rien à répondre à cela,
  • J’ai tort. Oui, c’est avec ces indulgences-là
  • Qu’on a toujours conduit les peuples à leur perte.
  • Qu’on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe,
  • On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,
  • M’a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
  • Pleins de l’autorité des douces créatures :
  • - Eh bien, moi, je t’irai porter des confitures.

VICTOR HUGO (1802-1885)